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L'équipe "se comprendre"
Avec 59% d’augmentation des demandes d’interprétariat, en 2021, dans le domaine de la santé, le canton du Jura se démarque.
« C’est probablement grâce à nous », confirme Mauranne Laurent, psychologue et coordinatrice de la Maison de santé communautaire (MdSC) à Delémont. Porte grande ouverte, rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite, café-thé offert, livres pour enfants, comptoir administratif discret…au centre-ville de Delémont, passer le pas de la porte de la MdSC ne relève pas du défi. Créer du lien avant de soigner, le message passe. A l’étage, l’aménagement n’a rien à envier à celui d’un cabinet médical « classique » où la confidentialité est de mise. « Nous sommes tenus au secret médical. Aucune information n’est transmise, y compris à l’AJAM*, sans le consentement de la personne », souligne Mauranne Laurent, coordinatrice du lieu. Une précision essentielle au regard de la mise sur pied par l’AJAM, en 2020, de cette nouvelle structure composée actuellement d’une équipe de cinq infirmières, une psychologue, deux assistantes médicales et deux médecins dont une médecin référente. Toutes familières de l’interprétariat. « Faire appel à des interprètes professionnels est une évidence pour nous ».
En 1ère ligne
Bilan de santé physique et psychique, affiliation quasi-systématique à un médecin généraliste ou un pédiatre et réorientation vers le réseau de soins du canton en assurant l’organisation de rendez-vous avec interprètes, la MdSC est une porte d’accès aux soins. « la majorité des demandes de soins relèvent de la santé mentale », précise Mauranne Laurent. Un suivi de transitionest également garanti entre deux rendez-vous chez d’autres prestataires de santé. « Nous intervenons en 1ère ligne ce qui permet de mieux prendre en charge les problématiques par la suite. Et le travail de coordination des soins avec les acteurs médicaux et sociaux fait partie intégrante de nos prestations. L’hôpital n’a pas pour mission de réaliser ce type de consultation, ni d’assurer un suivi. » Selon les besoins, la nouvelle structure développe également des projets collectifs, dont la coordinatrice donne un exemple. « Nous avons mis sur pied pendant 4 mois un groupe de parole en réponse aux souffrances psychologiques de nombreuses personnes afghanes, suite à la prise de pouvoir de Kaboul par les Talibans ».
Accès au secteur ambulatoire
« L’ouverture de la MdSC a eu un effet direct sur le nombre de personnes allophones qui viennent chez nous », témoigne Nicole Mangeat, responsable du site de Delémont à Addiction Jura, assumant une mission de prévention, de soutien-conseil et de réduction des risques. « Mon hypothèse est qu’auparavant, ces personnes ne connaissaient pas notre existence et ne savaient pas qu’elles avaient droit à ces prestations ». De plus, le soutien n’est possible qu’avec des personnes qui ont déjà mené une première réflexion quant à leur addiction. « Le premier recours est très bien réalisé par la MdSC. Les personnes qui nous sont envoyées sont en demande », souligne-elle. Jusque-là , avec 1 à 2 demandes par an, l’interprétariat n’était pas vraiment une thématique dans ce service. « Le grand changement est le volume des demandes, ce qui est très positif d’un point de vue de santé publique car cela permet d’éviter des problématiques plus graves en cas d’absence de soins », estime la responsable du site delémontain.
Le choix de l’interprétariat
Travailler avec des interprètes n’est toutefois pas anodin. « Nous réfléchissons à nous former pour mener ces entretiens de conseils avec interprète », précise Nicole Mangeat. A cet égard, le service « se comprendre » organise régulièrement des échanges entre professionnels et interprètes afin de se former ou d’optimiser la collaboration.
La question du choix de l’interprétariat selon le type d’entretiens apparaît également. Pour sa part, l’Hôpital du Jura propose à ses collaborateurs un algorithme afin de déterminer le type de prise en charge des patients allophones. Disposant de ressources variées – interprètes « se comprendre », liste interne de traducteurs volontaires formés, outils linguistiques (lexique imagé, Traducmed, etc.) - l’Hôpital du Jura distingue notamment les échanges de base non médicaux, l’urgence et les entretiens médicaux, selon une Directive et une Charte propres à l’établissement.
Un investissement choisi
Pédiatre, ophtalmologue, médecin généraliste, etc. les frais d’interprétariat des premières consultations en ambulatoire organisées par la MdSC sont pris en charge par l’AJAM. En cas de suivi prolongé, les prestataires de santé peuvent être amenés à prendre le relais, selon leurs capacités budgétaires. Dès lors, la question du financement de l’interprétariat dans le domaine de la santé reste centrale – cf. encadré. À l’Hôpital du Jura, 196 demandes d’interprétariat adressées à « se comprendre » en 2021 ont été prises en charge par l’établissement. A la MdSC, une centaine de rendez-vous médicaux sont organisés chaque mois avec interprètes. Un coût assumé, comme l’explique Pierluigi Fedele, directeur de l’AJAM. « Notre budget d’interprétariat a augmenté de Fr. 100'000.- ces trois dernières années. L’interprétariat est un investissement choisi qui s’inscrit dans une démarche qualité. Nous sommes convaincus des bénéfices de l’interprétariat dans la compréhension des enjeux de santé pour les personnes migrantes et cela fait partie intégrante du parcours vers l’autonomie. » (cb)
ENCADRE : Accords et désaccords
Selon, Lena Emch-Fassnacht, secrétaire générale d’INTERPRET (www.inter-pret.ch), « en théorie, le Conseil fédéral, l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) et la CDS (Conférence suisse des directeurs de la santé) ont reconnu que l’interprétariat fait partie intégrante de la prestation médicale et que les frais d’interprétariat doivent être facturés à l’AOS. Pour les traitements hospitaliers, les frais d’interprétariat devraient être facturés par le biais des forfaits par cas, ce qui, jusqu’à présent, n’est pas effectif. Les hôpitaux continuent donc de payer eux-mêmes les frais d’interprétariat. Pour les traitements ambulatoires, les frais d’interprétariat devraient pouvoir être facturés via des postes tarifaires correspondants. En pratique, pour tout traitement, il manque un accord entre les partenaires tarifaires ».
*Association jurassienne d’accueil des migrants
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